Qui es-tu, et que fais-tu ici ?! ~ PV Ety

Le soir tombait. La nuit était quasiment là. Étoile Végétale ne le voyait pas encore, mais elle le sentait. Assise dans la plaine faisant partie de son territoire, la meneuse au pelage noir écaille de tortue fixait le ciel azur qui se teintait petit à petit de rose-orangé. Elle avait passé une belle journée, aujourd'hui, d'ailleurs, en ce moment, tout se passait bien, pour elle comme pour son Clan. Ces derniers temps, elle avait en plus recroisé de nombreuses connaissances, et heureusement, uniquement parmi ses "bonnes" connaissances. Elle n'avait pas rencontré de problème particulier depuis qu'elle était sortie de son coma étrange. La seule personne qu'elle n'avait plus croisée était Foudre.

Non, il restait également quelqu'un d'autre qu'elle n'avait plus revu. Quelqu'un qu'elle aimait autant qu'elle détestait. Quelqu'un qui lui donnait des frissons dans le dos. Cette personne n'était nul autre que sa soeur, Ombre. Rien que d'y penser, l'expression de la meneuse s'aggrava. Elle ne l'avait plus vu depuis tellement longtemps que ça en devenait beaucoup trop louche et étrange. Sa soeur n'était pas morte, ça, elle en était certaine. Mais alors, que faisait-elle ? Où était-elle, si ce n'était dans le Clan de Félins ? Autant de questions similaires la taraudaient, et piquaient au vif sa curiosité.

Étoile Végétale secoua la tête. Elle ne devait pas penser à elle, pourtant... elle avait l'impression de sentir son odeur âcre, à cet instant précis. Non... Elle tourna la tête. Ce n'était pas qu'une impression... Là ! La chef du Clan du Vent venait de repérer une touffe de poil n'appartenant à nulle autre personne qu'à sa soeur. Étoile Végétale fronça les sourcils. Il y avait une piste, et, qui plus est, elle était fraiche, d'une heure ou deux à peine. Cela ne faisait aucun doute que c'était un piège. Pourtant, elle décida de la suivre quand même, vraiment curieuse... et préoccupée.

Elle se retrouva finalement aux Hautes-Pierres. Là, il n'y avait plus rien, ni odeur, ni marque, la piste avait totalement disparu, volatilisée. Ombre... qu'est-ce que ça signifie ? Que veux-tu me faire comprendre ? Soudain, elle eut un horrible pressentiment. Et si sa soeur l'avait éloignée exprès pour attaquer son clan ??? Non, c'était impossible. Étoile Végétale se rassura également en se disant que ses combattants pouvaient se débrouiller, si cela arrivait vraiment. Fiou... Je viens de me faire une sacrée frayeur...

Elle eut à peine le temps de se remettre qu'une effluve étrange lui parvint. Celle du Clan du Tonnerre. Et à la silhouette qu'elle ne tarda pas à apercevoir, ce n'était pas Étoile de Lune, mais un guerrier. Que faisait-il ici, non loin de la grotte abritant la Pierre de Lune ? Feuille Tigrée lui avait assuré quelques jours plus tôt que la meneuse se portait bien, donc il n'était pas là pour un rituel quelconque. Donc, la même question revenait, que faisait-il ici ? Elle pouvait avoir une excuse, elle, car elle était chef. Mais il était rare que des combattants viennent jusqu'aux Hautes-Pierres, surtout par cette saison.

Alors qu'il parvenait à quelque longueurs de queue d'elle, elle miaula d'un ton froid et cassant:

   - Que fais-tu ici, guerrier du Clan du Tonnerre ?

C'était vraiment trop suspect. Pourquoi pensait-elle cela, alors que ça ne pouvait être qu'un guerrier parfaitement ordinaire qui se promenait là comme elle par un simple et pur hasard ? Étoile Végétale n'aurait su le dire, mais elle ressentait au plus profond d'elle même que la présence de ce félin ici était louche. Serait-ce possible.... Est-ce qu'elle.... Non, Ombre n'est absolument pas du genre à se faire des alliés parmi les Clans. Elle ne fait que s'amuser avec eux. C'est donc impossible que ce matou soit là sous ses ordres. C'était une manière étrange de voir la situation, mais après tout, il y avait une infinité de scénarios possibles, qui, en ce qui concernait le mode de pensée de la meneuse du Clan du Vent, tournaient souvent autour de "menace", "danger", et autres mots pouvant s'y rattacher. Bref, elle restait méfiante en toutes circonstances.

L'inconnu du Clan du Tonnerre lui répondit alors, tournant autour d'elle d'une manière qui ne lui plaisait franchement pas:

   - Allons allons, pourquoi tant d'hostilités, ma chère Étoile Végétale ?

La féline au pelage écaille fronça les sourcils. Pourtant, il n'y avait pas de quoi, étant chef de Clan, il était parfaitement normal que ce guerrier connaisse son nom, alors qu'elle le voyait comme un parfait inconnu. Alors pourquoi restait-elle sur la défensive ? Sûrement parce que son instinct fidèle le lui disait. Et en général, mieux valait le suivre. Continuant de tourner autour d'elle en traçant un cercle, l'autre guerrier répondit enfin à la question première de la meneuse:

   - Il est possible que je ne sois qu'un guerrier comme un autre c'est pour cela que tu ne me connais pas, je suis Plume d'Automne.

Bon, au moins elle venait de récupérer un nom, ce qui en soit était déjà bien. Sentant que Plume d'Automne n'avait pas fini de parler, elle attendit la suite de ses paroles:

   - Et pour répondre à ta question, il semblerait que je me sois baladé un peu trop loin de mon territoire, tu ne m'en veux pas j'espère ?

Cette phrase ne fit que renforcer sa méfiance. La manière dont elle avait été prononcée n'inspirait pour le moment rien de bon à Étoile Végétale, et de plus, l'autre matou ne faisait que lui tourner autour, ça allait finir par la rendre folle ! Et, comme s'il avait lu dans ses pensées, il se planta enfin en face d'elle et ajouta:

   - Et sinon, comment vont tes camarades, chef du Clan du Vent ?

Cette question était facile de réponse, elle en avait l'habitude. Elle se détendit légèrement, enroula sa queue touffue autour de ses pattes fines pour planter son regard semblable à l'émeraude dans les prunelles de son interlocuteur, toujours froide, mais qui avait quand même conservé un minimum de respect pour celui qui lui adressait la parole. Elle miaula donc d'un ton plat, sans quelconque once d'émotion particulière dans la voix:

- Le Clan du Vent se porte bien, aucun cas de mal blanc à signaler, il est d'ailleurs plus prêt que jamais pour faire face à la saison des Feuilles Mortes.

Elle ponctua sa phrase d'un sourire, fière que son Clan soit en aussi bonne santé. Et par politesse, elle retourna la question au matou en face d'elle, conservant toujours son petit sourire énigmatique:

- Et le Clan du Tonnerre se porte-t-il bien, cher Plume d'Automne ?

Étoile Végétale avait déjà la réponse à cette question, qui lui avait été donnée par Feuille Tigrée quelques jours plus tôt, si bien que quoi que lui dise le guerrier du Tonnerre, elle pouvait savoir si ses dires étaient vrais ou non et ainsi déjà commencer à se forger une opinion sur sa personne.

La meneuse regardait son interlocuteur d'un mauvais œil. Cela faisait à peine quelques minutes qu'elle l'observait et qu'elle l'avait rencontré, pourtant, elle se forgeait déjà une opinion très négative sur sa personne, et ça, elle aurait du mal à le corriger, après. Et étrangement, elle n'était pas sûr que ce soit quelqu'un de mauvais de pure souche. Il allait falloir qu'elle poursuive sa conversation afin de confirmer ses soupçons et être bel et bien certaine d'elle. Cependant, elle ne montra rien de sa réflexion profonde, comme elle savait si bien le faire, elle en avait un peu pris l'habitude, à vrai dire, et puis, ces derniers temps, elle ne faisait que ça.

Étoile Végétale fronça -une fois de plus- les sourcils lorsque l'autre félin décrocha un bâillement, avant de lui répondre enfin:

   - Eh bien, disons que je n'ai entendu personne se plaindre mis à part les chatons qui souhaitent plus que tout devenir des apprentis et les apprentis devenir guerriers... C'est tout ce que je peux t'affirmer.

La formulation était bizarre. Et louche. La meneuse du Clan du Vent sentait que tout cela cachait quelque chose. Mais quoi ? C'était justement ce qu'elle allait découvrir. En observant les faits et gestes du matou, elle avait déjà pu confirmer son soupçon de tout à l'heure: ce n'était pas un félin normal. Par dans le sens surnaturel ni rien, hein. Mais il semblait avoir, d'après ce qu'il dégageait... Un trouble. Oui c'était ça, il était atteint d'un trouble, Étoile Végétale en était quasiment certaine, maintenant. Elle avait déjà vu des situations similaires. Restait à savoir quel était ce genre de trouble.

L'humeur de la meneuse commença à devenir légèrement colérique lorsque Plume d'Automne n'hésita pas un seul instant à s'allonger pour miauler:

   - Excuse ma "ponctualité" je n'ai jamais vraiment eu ça dans mon sang.

Ponctualité ? Décidément, ce matou du Tonnerre a un problème. C'était l'impression que gardait la chatte au pelage noir écaille de tortue. Elle eut un mouvement de recul lorsque le félin roux s'approcha d'elle, puis finalement se contenta de la frôler, ce qu'elle n'apprécia pas du tout. Il miaula ensuite, la féline aux yeux émeraudes étant à deux griffes de lui donner un violent coup de patte pour le remettre à sa place:

   - Ma pauvre Étoile Végétale, ça ne doit pas être facile d'être chef, tu n'es pas fatigué à être tout le temps sur tes gardes comme ça ?

Non. Elle n'était pas fatiguée. PAS DU TOUT. Cela faisait plus de trois lunes qu'elle était tombée dans le coma et elle venait d'émerger ! Alors elle était tout, sauf fatiguée. Le matou ajouta en se dirigeant vers son emplacement initial:

   - Détends toi donc un peu, je ne compte pas te faire du mal...

Ces paroles étaient vraiment suspectes. Très suspectes. Trop suspectes.

La meneuse écaille n'aimait pas du tout ça. Pire. Les félins comme Plume d'Automne qui minaudaient de belles paroles comme ça en tournant autour des femelles, elle les haïssaient. Trop de mauvais souvenirs ayant déchiré ses proches étaient en rapport avec ce genre de félin. Alors...

Soudain, Étoile Végétale se tendit net. Une mauvaise odeur emplissait l'air, un fumet vraiment nauséabond, qu'elle connaissait bien. Un chien. Sentant d'abord la course du cabot, elle le vit surgir subitement d'entre deux buissons, fonçant droit sur elle et l'autre félin. Autour de son coup se trouvait un collier, et attachée à ce même collier, un morceau de laisse sectionné qui se balançait près de la gueule baveuse du gros canidé. Le cabot avait sûrement brisé sa laisse de Bipède et s'était enfui. Et là, le problème était que c'était eux qu'il voulait. Lorsqu'il bondit en avant pour saisir la féline, celle-ci s'écarta d'un bond, se préoccupant sur sa survie, mais aussi sur un détail qui l'intriguait. Mêlée à celle du chien, il y avait un autre odeur, infime, quasiment imperceptible pour ceux qui ne la connaissaient pas. Mais elle était beaucoup trop familière pour Étoile Végétale. Elle sauta au dessus du molosse pour lui labourer le dos, lui arrachant des grognement, puis ses pupilles s'écarquillèrent en voyant le morceau de laisse. Il y avait des traces de crocs et de griffures, bien trop petites pour que ce soit celles du chien. Et l'odeur... Impossible... C'est... C'est l'odeur d'Ombre ! Pourquoi ? Pourquoi Ombre lui avait envoyé un chien ? Etait-ce une épreuve ? Déconcentrée, la meneuse tomba violemment sur le sol, le souffle coupé par le choc. Et tout ce qu'elle vit, c'était une mâchoire béante et baveuse prête à se refermer sur sa gorge.