« Souvenirs » — Libre.

Les souvenirs. Ils s'effacent, mais certains restent. Et ce sont, généralement et malheureusement, les mauvais souvenirs qui restent.

Étoile du Soleil est mort il y a voilà une bonne lune. J'étais bien sûr censé prendre sa place, mais j'ai eu un grave accident. Alors que je me promenais près de la rivière, j'ai crû sentir quelque chose... quelque chose qui me tirait vers la rivière. J'avais sentie l'eau glaciale, puis j'avais ouvert les yeux... Je me sentait couler, et le quelque chose me maintenait au fond de la rivière. J'avais retenu ma respiration, longtemps. En tant que guerrière de la Rivière, retenir ma respiration, c'est bien mon truc - j'ai l'habitude d'aller chercher des poissons au fond de l'eau. Alors j'ai tenu quelques minutes. Mais mes poumons ont commencés à me brûler, et je me suis à moitié étouffé. J'avais ouvert la bouche, l'eau s'était infiltrée dans ma gueule...
Puis le vide. Le noir total. Et enfin, des cris.

Les guerriers de la Rivière m'avaient retrouvé sur la berge, à moitié évanouie. Que c'était-il passé ? Je suis sur que la chose en question n'était pas un chat. Et si... Et si elle n'était même pas vivante ?

Enfin. Je deviens paranoïaque. Tout ce que je sais, c'est que ma vie ne tenait plus qu'à un poil vu le volume d'eau considérable dans mes poumons. Malgré tout, robuste comme j'étais, j'avais survécu. Personne n'y croyait, mais moi, j'avais lutté. Seule. Sans soutien.

Depuis, j'ai changé. Déjà, le Clan à eu l'honneur de choisir un nouveau chef pendant ces deux semaines ou j'étais dans le coma, vu qu'on ne croyait pas à ma survie. Quel est ce nouveau chef ? Je ne sais même plus, et je m'en fiche. Je me fiche de tout. Je me sentais trahie, abandonnée. Le Clan m'avait en quelque sorte abandonnée, et je m'étais mise à le rejetter. Même ma fille, Nuage de Neige, voilà un bout de temps que je ne l'avais pas vue.

A vrai dire, je ne suis sortie de mon coma que depuis six jours. Je n'ai même pas pris de nouvelles du Clan; je passe mes journées à l'extérieur, devant la rivière. Je ne pêche plus mais je me sert tranquillement dans la réserve, l'un des avantages d'être en convalescence.
Mais surtout, j'ai l'impression que le Clan me traite comme un miracle depuis mon réveil. J'ai l'impression que selon eux, j'étais morte d'avance, qu'il n'y avait pas la moindre chance de survie. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça m'exaspère. Vous ne pouvez pas savoir à quel point mon coeur est déchiré...
Nuage de Neige n'a même pas pris de mes nouvelles. Ou alors, je ne l'ai pas remarqué. Je suis silencieuse depuis mon réveil; je n'ai parlé à personne.


En un bond puissant, la rivière est franchie, et je suis sur les terres du Tonnerre. Je m'allonge en soupirant sur les Rochers, profitant du soleil d'après midi. Je m'en fiche bien si un guerrier du Clan du Tonnerre passe par là. Je me fiche de tout. Je n'ai plus aucun but.

Il était temps que la saison des feuilles vertes enveloppe le territoire. Les remèdes manquaient ces derniers-temps, et je n'avais rien pu y faire. Durant la mauvaise saison, période où j'étais devenue guérisseuse à la suite de mon mentor, combien de fois avais-je dû rassurer les reines, jusqu'à leur mentir ? Je ne pouvais pas leur répondre sèchement "Non, il est condamné, arrêtez de traîner dans mes pattes, je vous en prie".
Le soleil de midi éclaboussait ma fourrure comme l'écume se jette violemment sur une plage de galets. Une douce odeur aromatique flottait autour de moi, mais elle était ténue, beaucoup trop ténue. Mes moustaches remuèrent. Je n'avais presque plus de prêles, et celles-ci se trouvaient en milieu humide. J'allais devoir cheminer jusqu'à la rivière.
Après tant de froid, mes pattes engourdies avaient du mal à se faire à la belle saison, à la chaleur. Je ne sortais pas souvent de mon antre. Je n'en avais quasiment jamais le temps. Et j'avais encore des patients dont l'état devait être vérifié.
Passer la frontière me donna des frissons. Et si je croisais une patrouille ennemie ?
Tu es guérisseuse. Tu n'enfreins aucune règle. Ils ne peuvent rien te faire. Non, ils n'oseraient jamais faire de mal à un quelconque guérisseur.
Heureusement pour moi, aucune patrouille ne se dressa sur mon chemin. Je repérai des endroits utiles, où j'aurais certainement l'occasion d'y revenir plus tard sur mon trajet du retour. Pour le moment, seules les prêles comptaient.
Mon poil se hérissa lorsque je humai une odeur ennemie. J'étais désormais à côté de la rivière. L'eau s'écoulait paisiblement. Il me semblât même distinguer les écailles scintillantes des poissons qui y séjournaient.
Mais, cette odeur... ce n'est pas un félin du Clan du Tonnerre ! Serait-ce un autre guérisseur ? j'entrouvris mes mâchoires et je remarquai que j'avais tout faux. Qu'est-ce qu'un guerrier faisait en terres ennemies ?
Tu ferais peut-être mieux de ne pas t'en mêler. Mais s'il y en avait d'autres ? Je fronçai les sourcils, secouai la tête. Je me faisais des idées, certainement.

Immobile, le museau légèrement relevé, j'écoute. Le bruit de la rivière, le cri des oiseaux: rien ne m'échappe. Au fond, tout au fond de moi, je me sens libre, heureuse. Jamais je n'avais éprouvé cette sensation. Les guerriers de tous les Clans passent à côté de cette chose qu'est le bonheur, le vrai bonheur. Le vrai bonheur n'est pas celui que l'on pense. Le vrai bonheur n'a rien à voir avec "Je suis un guerrier loyal plus que tout et qui sert mon Clan au péril de ma vie." Non, non, non. Le bonheur, le vrai, c'est tout simplement celui qu'on qualifie du mot "liberté". Libre, c'est ce que je suis en ce moment. Depuis mon réveil, personne ne m'a reproché de passer mes journées à l'extérieur et de rentrer au coucher du soleil sans la moindre proie. Mes journées, je les organise comme je le veux. Personne ne me donne d'ordre et aucune responsabilité ne repose sur mes épaules. Finies, les tâches épuisantes de lieutenant.

Je n'ai même pas l'impression d'être une guerrière. Depuis ma sortie du coma, j'ai l'impression d'être une solitaire, qui fréquente le camp du Clan, certes. Et si... et si j'étais destinée à quitter mon Clan, à devenir solitaire ? Après tout, je n'ai plus aucun but. Ma vie n'a plus aucun sens.

Je m'allonge près de l'eau en soupirant. Ma tranquillité m'a quitté et laisse maintenant place à l'indécision. Quitter, rester... mon choix est difficile. Après tout, je peux rester dans mon Clan en vivant quasiment comme une solitaire, comme je fais actuellement. Après tout, mes camarades ne me manquent guère. Après tout, je n'ai plus l'impression de faire partie de leur famille. Oui, car après tout, le Clan est comme une grande famille. Et j'ai le sentiment d'être une inconnue parmi eux.

Soudain, un bruit. Un craquement de branche. Je relève doucement la tête et aperçoit un guerrier du côté du territoire du Tonnerre. Mais c'est l'odeur du Clan du Vent qui vient chatouiller mes narines. Je ne me pose même pas la question de ce qu'il peut bien faire là, ce matou, et je murmure:

         - Bonjour.

Ma voix est rauque, affreusement rauque, tant cela fait longtemps que je n'ai pas parlé.

La journée était bien avancée lorsque je revins de la patrouille de l'aube. Ces imbéciles avaient cru bon de suivre les traces d'un renard qui, d'après l'odeur, était bien loin. Et comme d'habitude,  je m'étais ennuyée à la tâche. Après cette filature, je sais que je n'irai plus jamais avec ce chef de patrouille. En plus, ma toux incessante les avait énervés.  Je n'étais toujours pas aller voir Nuage de Nuit. A mon avis,  elle serait bientôt guérisseuse à part entière ! Je demande à entrer et je pénètre dans la sombre tanière où l'odeur des plantes régnaient en maître.  Je fronce le nez. Comment a-t-elle pu préféré cette vie par rapport à celle des guerriers ? Des fois, elle m'etonnait.
- Nuage de Nuit ? appelais - je.
Une voix sourde venant des profondeurs me parvint :
- J'arrive !
Un corps mince surgit. Ses yeux verts m'examinerent et elle cria :
- Neige Éternelle ? Ça fait si longtemps ! Pourquoi viens - tu me voir ?

- Eh bien... J'ai une petite toux depuis deux jours et elle embêté bien des gens dans la tanière.
- Une petite toux... Tiens. Elle me donne une plante et je la prend entre les crocs avant d'en avalé un peu.  Le goût est épouvantable ! Puis,  à ma grande surprise, ma soeur de l'air s'approche lentement de moi et rajoute : Pourrais-tu me rendre un service ? Une malade est partie ce matin et je ne sais pas où. Il faudrait la retrouver. - Une malade ? Qui est-ce ?
Elle baissa d'un ton et ces yeux reflètent sa tristesse.
- Soleil du Matin.
Je n'en croyais pas mes oreilles ! Ma mère était malade ? Je sort en courant de la tanière de Nuage de Nuit. Il se l'auraient cachés ? Des larmes de culpabilité coulent sur mon visage et je sais pourquoi.  Je l'ai abandonnée. Je n'ai pas cherché à savoir où elle était. J'irais la chercher et je lui demanderais de me pardonner. J'emmène mes larmes de continuer et je cherche une trace fraîche.  Je la trouve immédiatement.  Son parfum à été le berceau de mon enfance. Je saurais le retrouver partout. Je suis l'itinéraire qu'elle a emprunté. C'est sans  surprise que je me retrouve près de la rivière. Elle l'adore ! Je la traverse et je la vois, debout à côté  des Rochers du Soleil. Elle ne me vois pas.
- Maman ? C'est moi, Neige Éternelle. Je viens... Je viens te demander de me pardonner. J'ai été très occupée ces derniers temps.
Elle ne bougeait pas. M'entendait-elle ?

Les oreilles dressées, je dévisage les buissons, devant moi. C'est là que se cache le fameux guerrier du Clan du Vent. Les questions commencent alors à fuser dans mon esprit: que fait-il là ? Aurait-il l'intention de chasser sur le territoire du Clan du Tonnerre ? Peu importe. Ce ne sont pas mes affaires.
Je repose mon museau sur mes pattes avant, attendant tranquillement la réponse à mes salutations.

Soudain, une autre odeur, plus familière, me fait pratiquement sursauter. Cette odeur... Je la connais très bien. Et pourtant, je ne réussis à placer un nom dessus.
Puis une forme d'un blanc éclatant apparait. Mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Serait-ce Tempête de Neige, mon compagnon ? Non, impossible, il est mort il y a bien des lunes... Pourtant, cette silhouette, je suis certaine de la connaitre.

     - Maman ? C'est moi, Neige Éternelle. Je viens... Je viens te demander de me pardonner. J'ai été très occupée ces derniers temps.

Je sursaute. Maman ? Neige Éternelle ? Que... qui est Neige Éternelle ? Pourquoi m'appelle t-elle "maman" ? Cette forme blanche... Si familière... Je grogne légèrement, frustrée de ne pas me souvenir. Ma mémoire serait-elle en train de s'effacer ? Suite à mon accident, ce serait bien possible.

Je plonge mon regard dans celui de la femelle blanche. Ses yeux sont bleus. Comme ceux de Tempête de Neige. Tempête de Neige, qui était mon... compagnon.
Mais oui ! Oui, oui ! Cette jeune femelle est ma fille ! Comment ai-je pu oublier ?

A présent, je ne peux détacher mon regard de sa fourrure. Comme elle a grandit, ma Nuage de Neige ! C'est une adulte à présent... Oubliant qu'elle s'était présentée sous le nom de Neige Éternelle, je me demande quand son baptême de guerrière sera organisé.

Je me lève, un peu tremblante, et je descend sans prudence des rochers, quitte à m'écorcher les coussinets. Je bondis aussitôt à sa rencontre, mon corps, encore maigre de n'avoir rien avalé durant ces deux fameuses semaines dans lesquelles j'étais dans le coma, secoué de tremblements.

- Nuage de Neige... Toi... Je...

Je me tais un instant, les yeux voilés de tristesse, puis je lâche soudainement, d'une voix aussi faible qu'un chuchotement:

- Je... je crois que je suis en train de perdre la mémoire.

Je me blotis contre ma fille en frémissant, tandis que mon regard se pose là ou le fameux matou du Clan du Vent se cache. J'aurai aimé qu'il n'assiste pas à ces retrouvailles, en plein sur le territoire du Clan du Tonnerre, en plus. Pourtant, je n'ai pas envie de bouger de là. Et si les guerriers du Clan du Tonnerre viennent se plaindre parce qu'ils ont senti notre odeur chez eux, j'irais leur parler. Et pas à la manière douce.

- Bonjour.
Un mot, un seul mot, et pourtant il me foudroie, ce que je ne comprends absolument pas. Suffit-il d'un seul mot pour me désarçonner ? Je m'assois, j'ordonne à ma queue de s'immobiliser. La voix de ma congénère est d'une tonalité fort atténuée par l'absence de paroles prononcées depuis un certain temps déjà. Le diagnostic médical se met déjà en place dans ma tête, si bien que je me concentre afin de le faire taire. Ce n'est pas le moment. Il faut se méfier des ennemis.
Puis soudain des bruits d'eau se font entendre, je remue mes oreilles, encore perturbée. Qui est-ce, cette fois ? Mais je n'ai pas le temps de parler.

- Maman ? C'est moi, Neige Éternelle. Je viens... Je viens te demander de me pardonner. J'ai été très occupée ces derniers temps.

La réaction de sa soi-disant mère n'est pas immédiate. Mais le choc peut se passer psychologiquement. Elle demeure immobile, n'étant pas sûre de saisir ce que la lieutenante de la Rivière lui prétend. Puis elle est agitée de tremblements nerveux. Soudain, j'ai honte. Je ne devrais pas me retrouver là. Je fixe les plantes qui jonchent le sol à mes pattes, hésitant à les arracher, quitte à faire du bruit.

- Nuage de Neige... Toi... Je..." elle s'arrête. Puis elle reprend : "Je... je crois que je suis en train de perdre la mémoire.

Oui, apparemment, je gêne. Mais tant pis. Je m'en fiche. Je suis là pour ramasser des herbes. Les retrouvailles mère / fille ne me laissent cependant pas indifférente moralement, bien que je ne le montrât pas ni par le regard, ni par un quelconque mouvement. Et je me mets à me poser des questions sur les évènements de ma vie. Nos ancêtres observaient-ils la scène en ce moment même ? Que pouvaient-ils bien en penser ?
Je sens l'odeur de la maladie peser sur la chatte errante, qui pourtant porte l'odeur encore ténue du Clan de la Rivière. Je ne peux pas m'en aller sans tenter de la soigner. Ses symptômes pourraient s'aggraver, entraînant la mort. Pourtant, j'hésite encore. Ses réactions semblent contrôlées par autre chose que la raison, quoi qu'elle eût perdu la mémoire. J'avance donc d'un pas, conservant mes distances, afin de savoir si je pus tenter quoi qu'il fût nécessaire de faire.

Ma mère me fixa et sursauta. Je m'approchais doucement d'elle, sûre de moi. Mais elle grogne à mon approche. Frustrée, je m'arrête. Elle plongea ses yeux dans les miens. Un frisson me parcoure l'échine. Elle... Ses yeux, jadis si beaux, qui faisaient sa fierté étaient ternes, dépourvus de toute brillance. Qu'a t-elle eut pour perdre ça ? Il y a une profonde douleur au fond d'elle. Et puis, son regard s'éclairant. Elle parcourue mon corps, et, un peu gênée, je ne pûs qu'attendre qu'elle finisse de m'étudier. Elle se leva, toute tremblante, et je voulus m'approcher d'elle pour l'aider. Mais mes pattes ne me répondaient plus, et j'étais toute tourneboulée. Finalement, elle vient, elle se sert contre moi.

- Nuage de Neige... Toi... Je...

Elle se trompait. Sa mémoire était-elle devenue très courte ? Je venais de lui dire que je m'appelais Neige Éternelle ! Inquiète, j'enfonçais mon museau dans sa fourrure mal toilettée. Je suis bête ! Elle n'a pas assisté à mon baptême ! Et je n'avais même pas remarqué son absence. Si la culpabilité rongeait, je n'existerait plus. Soleil du Marin continua d'une voix faible, perdue :

- Je... je crois que je suis en train de perdre la mémoire.

Je l'avais remarqué. Malgré tout, je relevai brusquement la tête. Qu'avais-je fait ? Je l'avais détruite, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il m'en coûtait de l'admettre, mais c'était vrai.

Je remarquais alors une femelle du clan du Vent. Que faisait-elle ici ? Entre la frontière du clan de la Rivière et celle du Tonnerre ? À l'odeur, ça devait être la guérisseuse. Châtaigne Nitide. Son nom m'était revenu. Mais ça, je m'en fichais. Je me dégageait plus soigneusement de l'étreinte de ma mère avant de fixer la soigneuse.

- Bonjour. Ais-je le droit de vous demander ce que vous faites là ? Je pense que ces moments que nous passons là sont assez intimes, non ?

Je revins vers la lieutenante du clan et lui pressa mon visage contre son poitrail.

La mère et la fille, serrées l'une contre l'autre. Depuis combien de temps n'avais-je pas eu de conversation avec Nuage de Neige ? Ah, depuis mon accident, évidemment. Mon accident, toujours mon accident... J'en ai assez. Cet accident a détruit ma vie, m'a fait perdre ma confiance envers mes camarades et m'a même fait oublié ma fille. A cause de cette accident, j'ai des trous de mémoire, je ne parle plus et je deviens une espèce de solitaire qui fréquente tout de même le camp. L'odeur de Nuage de Neige me parut même anormale: elle sentait une odeur forte, aquatique et un peu salée. Tout comme moi, sauf que mon odeur était beaucoup plus ténue, et ma fourrure sentait plus la maladie que le doux parfum de l'eau. Je compris alors que mon odeur de jadis, l'odeur du Clan de la Rivière, était en train de disparaître et laissait place à une nouvelle odeur - je n'aurai pas su la décrire, et puis je m'en fichais bien.

Ce que je savais, c'est que Nuage de Neige avait l'air de me dévisager comme si j'étais un squelette sur pattes. En même temps, avec mes os saillants, mon haleine enpestant la maladie et ma fourrure terne, emmêlée et mal entretenue, arrachée même à certains endroits - soit je me "rongeait" moi même la fourrure lorsque ce sentiment de détresse me revenait, soit c'était (encore) à cause de je-ne-sais-quelle-maladie -, je n'avais plus du tout l'air de la chatte que j'étais avant, hargneuse, provocatrice, le pelage soyeux et les yeux brillants.
La seule chose que j'avais sûrement dû garder était mon redoutable sens de l'observation. La preuve, la lueur de culpabilité qui brillait dans les yeux de ma fille ne m'échappa pas. Pourquoi ? Pensait-elle que c'était de sa faute, si j'étais dans ce pitoyable état ? C'est bien normal, que quelqu'un se sente concerné s'il arruve un malheur à l'un de ses proches. Mais Nuage de Neige n'y était pour rien, j'en étais certaine.

La chaleur du corps de Nuage de Neige, s'écartant du mien, me tira de mes pensées et me ramena à la réalité. Je suivis le regard de l'apprentie blanche et mes yeux se posèrent sur la chatte du Clan du Vent que j'avais remarqué auparavant.

- Bonjour. Ais-je le droit de vous demander ce que vous faites là ? Je pense que ces moments que nous passons là sont assez intimes, non ?

Je clignais des yeux, mettant un certain temps à réagir, puis je finis par marmoner d'une voix rauque:

- Laisse la, elle ne fait rien de mal. De plus, elle est du côté du Clan du Tonnerre, ce n'est pas notre problème.

Je me gardais bien d'ajouter que même si elle venait sur les terres de la Rivière, je n'en avais rien à faire. Je n'avais désormais rien à voir avec ce Clan. J'y habitais simplement, ne fréquentant plus personne - hormis Esprit du Loup, mon frère, le seul qui avait crû en moi et à qui je parlais de temps en temps, bien qu'assez rarement; ainsi que ma chère Nuage de Neige, que je venais de "retrouver" depuis une dizaine de minutes.

Oh. Par nos ancêtres. Pourquoi avais-je avancé d'un pas, déjà ? Je savais désormais pertinemment que je n'étais pas la bienvenue.

- Bonjour. Ais-je le droit de vous demander ce que vous faites là ? Je pense que ces moments que nous passons là sont assez intimes, non ?

Amical, agressif ? Un mix des deux, je dirais. Bien que j'eusse toutes mes raisons de me trouver là, la minette n'avait pas tord. Mais ce ne serait pas pour cela que je bougerais le moindre de mes articulations. J'avais une mission, je l'accomplissais, et je repartais, point. Simplicité, rapidité. Sans se poser de questions. Puis le regard de la mère se pose sans gêne sur moi, ce que je ne sus pas interpréter. Peu m'importait, après tout. Je refoule un haussement d'épaules, je ne bouge pas d'un millimètre, toujours silencieuse.


- Laisse la, elle ne fait rien de mal. De plus, elle est du côté du Clan du Tonnerre, ce n'est pas notre problème.

Quels sont tes problèmes exactement, à toi ? l'envie de poser cette question brûle mes lèvres, mais par respect, je décide de la faire taire. Je n'aime pas aller dans le sens de mes envies. Cela peut m'être fatal. Sait-on jamais. Mais cette question sonne soudain le glas de mon esprit de réflexion encore endormi. Ne me concernait-elle pas également, d'un certain point de vue ? Peut-être. Je m'empêche de lever les yeux vers le ciel, ça pourrait être une marque de faiblesse. Alors je déclare, tout simplement :

- N'auriez-vous pas, par hasard, aperçu des prêles ?

Une phrase simple, sans appel. Aucune émotion particulière ne tranche ma voix. Je ne suis même pas sûre que les deux félines comprenne un traître mot de ce que je raconte. Des prêles, késaco ? Enfin, j'ai des préjugés, comme toujours... je n'attends pas spécialement de réponse, mais encore une fois par respect, j'attends que l'une d'elle s'exprime.