Ça veut pas dire que je t'aime pas, hein. C'est juste que mon cerveau est con '-'Neigeou était une elfe normale, qui vivait dans une forêt maudite. Elle adorait passer du temps à lire ou à rêvasser et, quand elle ne le faisait pas, elle allait chasser son repas. Lʼelfe adorait courir entre les arbres, se cacher, tendre son arc et son oreille, attendre quʼune cible vienne à elle. Vêtue de loques, il restait cependant en elle un charme sauvage, une aura intimidante qui forçait lʼadmiration des animaux de la forêt.
Cela faisait depuis longtemps que Neigeou nʼavait pas côtoyé les humains. Ces derniers venaient très peu dans sa forêt et, si ils le faisaient, lʼelfe se cachait sans problème de leurs yeux. Les humains ne savaient pas observer. Ils ne savaient que piétiner, détruire les bois. Neigeou enrageait de voir ça mais ne pouvait rien dire, car cela aurait révélé son existence à tous.
Or, un jour, alors quʼelle brossait tranquillement ses cheveux blancs (qui lui avaient valu son nom), un pleurs attira son attention. Il était lointain, presque inaudible, mais lʼelfe lʼentendit tout de même (comprenez quʼelle avait une super-ouïe). Il se pouvait que ce soit juste un humain perdu, et dans ce cas Neigeou sʼen fichait quelque peu. Cependant, le pleurs se reproduisit, puis encore, puis encore, puis encore, jusquʼà quʼils se transforment en une crise de larmes.
Lassée de tout ce bruit, lʼelfe décida dʼaller voir ce quʼil se passait. Elle courut à travers les bois, se déplaça dans les arbres, et arriva enfin à la source du bruit.
Il sʼagissait dʼune humaine. Une toute petite humaine, qui ne devait pas avoir plus de sept ans, et qui pleurait à chaudes larmes. Vêtue de loques elle aussi, elle se frottait les yeux avec ses petits poings serrés, ses bras marqués de traces de coups. Neigeou était peut-être une elfe qui ne souhaitait pas se faire remarquer des humains, mais elle avait un coeur. Aussi, la blanche sʼapprocha doucement de lʼenfant et, une fois près dʼelle, lui posa doucement une main sur lʼépaule.
Progressivement, les pleurs sʼarrêtèrent, les yeux verts de la petite se posant sur Neigeou. Cette dernière y lisait une reconnaissance éternelle, ainsi quʼune grande admiration.
À partir de ce jour-là, lʼenfant vécut avec Neigeou.
Ce nʼétait pas voulu, songeait parfois lʼelfe en regardant du coin de lʼoeil la petite fille. Cʼétait une erreur. Bientôt, elle serait grande, en âge de se débrouiller seule, de partir, de la dénoncer, et alors lʼelfe regretterait son geste.
Mais Neigeou ne pouvait oublier ces yeux, qui exprimaient toutes les émotions du monde en quelques secondes. La terreur lorsque Neigeou évoquait le simple fait de retourner chez elle. La joie quand elle ramenait une nouvelle pièce de gibier. Lʼincompréhension quand elle posait une question que lʼenfant ne comprenait pas.
La petite nʼétait pas bête. Elle communiquait difficilement. Elle ne pouvait pas parler, avait vite compris lʼelfe. Ses gestes traduisaient ses paroles, ses yeux traduisaient ses émotions. Lʼenfant était intelligent. Et elle ne grandissait pas bien vite. Neigeou, au bout dʼun moment, en eut assez de lʼinterpeller par le mot «gamine», et décida de la nommer.
Peu à peu, les deux se firent au nom de Tigrou.
Et cʼest ainsi que vécurent Neigeou, lʼelfe aux cheveux blancs, et Tigrou, lʼhumaine muette. Les années passèrent. Tigrou grandissait peu à peu, passant dʼune enfant à une adolescente qui avait adopté le mode de vie de sa sauveuse. Muette mais pas stupide, alors elle avait réussi à trouver un moyen de communiquer : tracer sur la paume de sa main ou de celle de sa sauveuse, des lettres, qui formaient ensuite des mots. Neigeou regardait tout cela dʼun oeil triste : un jour, cette petite fille la quitterait et alors, elle se retrouverait seule à nouveau.
Neigeou nʼaimait pas la solitude. Elle avait été forcée à la solitude, et sʼy était faite. La résignation lʼavait gagnée, mais cela ne voulait pas dire quʼelle aimait bien errer seule dans les bois.
Tigrou, cependant, ne voulait pas partir. Par divers signes de mains, elle faisait comprendre à lʼelfe quʼelle voulait rester ici. La nouvellement adolescente ne semblait pas souhaiter regagner le monde des humains. Neigeou lui cria beaucoup dessus, pour gâcher ainsi sa vie dans cette forêt maudite mais, progressivement, accepta le choix de sa protégée.
Silencieusement, elle la remerciait, mais redoutait chaque jour qui venait.
Elles redoutaient la venue dʼautres humains, elles redoutaient la fin de leur aventure, elles redoutaient quʼun jour, lʼune ait à mourir.
Ces peurs ne se réalisèrent jamais.
Jusquʼà un jour de pluie.
Neigeou détestait la pluie. Dans les peu de livres quʼelle avait lu et apprécié, la pluie était souvent synonyme de malheur. Durant toutes ces années passées avec Tigrou dans la forêt maudite, il avait fait soleil. Se fier à la météo pouvait paraître absurde à tous, mais Neigeou savait ce que signifiait cette pluie sur cette forêt.
Lʼune dʼelles devait mourir aujourdʼhui.
Alors Neigeou prit peur pour la vie de son amie. Lui cria dessus dès le jour levé pour quʼelle parte loin dʼici, retourne dans le monde des humains et ne revienne plus jamais. Tigrou lui expliqua à grand renfort de signes énervés quʼelle resterait ici, même contre la volonté de Neigeou.
« Jʼai quelque chose dʼimportant à faire. », disaient ses yeux verts. La blanche se fâcha pour de bon. Cassa même quelques objets. Tigrou prit soudainement peur et sʼenfuit.
Neigeou en fut heureuse. Sa protégée avait enfin compris, allait pouvoir partir.
Lʼelfe attendit que le soleil revienne, signe que personne ne mourrait ce jour-là dans cette forêt maudite.
La pluie continua. Elle continua encore une heure, puis deux, puis trois, et alors Neigeou prit peur. Tigrou nʼétait-elle pas partie ? Et lʼimage de ces yeux lui revint en mémoire. Tigrou nʼavait pas eu peur, Tigrou nʼavait pas fuit pour fuir ; elle avait fuit pour se cacher, pour résister.
Elle était toujours dans la forêt.
Neigeou jura beaucoup, courut dehors. Elle hurla le prénom de sa protégée, même si elle savait que cela ne servait à rien : une muette ne pouvait répondre et, avec cette pluie battante, Neigeou nʼentendrait pas un bruit suspect.
Lʼelfe courut partout, chercha dans les cachettes les plus évidentes : le grand arbre, quʼavaient autrefois habités dʼautres créatures mystiques. La grotte près de la petite cascade. Derrière la cascade, même. Mais rien, Tigrou était introuvable.
Neigeou réfléchit intensément : où pouvait aller Tigrou ? Où ?!
Puis le déclic se fit et vite, vite, Neigeou retourna sur ses pas, courant à en perdre haleine. Elle allait là où elle avait rencontré sa protégée pour la première fois, près dʼun vieux chemin de terre et de cailloux, envahi par les taillis.
Neigeou courait toujours, elle évitait les branches habilement, elle ne se déplaçait pas dans les arbres : la pensée ne lui traversa même pas lʼesprit. Peut-être aurait-elle dû prêter attention aux autres bruits un peu suspects, des bruits qui ne venaient pas de la forêt ou de la pluie battante.
Des voix rugueuses. Des voix humaines.
Neigeou lʼelfe à la chevelure blanc débarqua en trombe sur le chemin abandonné, croisa le regard horrifié de Tigrou, vit les chevelures blanches, noires et brunes des hommes qui étaient à ses côtés et entendit le coup de feu qui partait.
Elle ne sut pas ce qui la fit tomber : surtout pas le recul, surtout pas la descente inexistante. Peut-être plus le choc de voir progressivement ses habits se couvrir de rouge, alors que le sang de la plaie sʼinfiltrait dans le tissu.
Au final, lʼelfe ne cria même pas de douleur, de surprise ou dʼhorreur. Il fallait bien que ce jour arrive, songea-t-elle alors quʼelle tombait face contre terre, une petite flaque de sang se formant peu à peu sous son corps. Dans le rire gras des hommes, elle entendit les pas précipités de Tigrou. Le visage de cette dernière se pencha dans son champ de vision. Il était baigné de larmes silencieuses. Cʼétait bizarre, elle savait pourtant sangloter, mais la bouche de lʼadolescente était résolument fermée tandis que ses yeux verts exprimaient tout ce quʼelle ressentait.
Il y a de la peur, de la douleur, de la peur de la perdre. Et aussi, il y a une fureur sans nom contre ces humains, eux qui croyaient lʼavoir sauvée et qui, au final, lʼont détruite.La main de Tigrou bougea et commencèrent à former des lettres sur la paume de main de Neigeou. Cette dernière se sentait partir, entendait les voix de tous ceux que cette forêt maudite lui avait enlevée, un par un. Et pourtant, alors que Tigrou traçait résolument les lettres, sous les regards curieux des hommes désormais silencieux, Neigeou décida de tenir encore un peu, de comprendre ce que voulait lui dire sa protégée.
Aujourdʼhui, je voulais te donner quelque chose pour te remercier.Neigeou toussa un peu de sang. Elle reçut un regard paniqué de Tigrou, qui comprit quʼil ne lui restait que peu de temps avant que sa sauveuse ne parte éternellement.
Aujourdʼhui, cela fait dix ans que tu mʼas sauvée des humains. Je les ai toujours haïs, pour penser que je ne pouvais rien faire simplement parce que je ne pouvais pas parler. Ou alors était-ce juste un moyen dʼattirer lʼattention... ?Neigeou rigola dʼun rire horriblement haché.
« Je ne sais pas. Tu dis des choses qui sont pour moi beaucoup trop compliquées... »
Cʼest peut-être vrai..., suivit dʼune secousse qui ressemblait à un rire.
« Alors... Bon anni...versaire ? »
Une lumière blanche brillait devant ses yeux. Neigeou poussa un dernier souffle. Et, tandis quʼelle partait, elle sentit Tigrou poser sa tête sur son ventre, et tracer les dernières lettres en hoquetant.
Au revoir.Ce jour-là, ce jour pluvieux, Neigeou lʼelfe à la chevelure blanche ferma une dernière fois les yeux.
...
Passez une bonne journée, Messieurs et Mesdames