Je me fais grave chier ._.

Un gémissement déchire ma mère, une dernière contraction et la bataille est finie. Je glisse sur la litière tel un simple paquet de mousse. Mon père me pose à côté de ma mère. Elle ne roucoule pas, trop faible pour ça. Elle se contente de me couver, quant à mon père il commence à regarder cet œuf pensant pouvoir le réchauffer avec le regard. Ma mère se nommait Gala et mon père Krodha. J'ignore mon nom, mon père m'appelle Palaka et ma mère ne m'appelle pas. Elle est bien mystérieuse.

Quelques lunes plus tard, je trouve l'instant exact pour éclore. Je pense le regretter à tout jamais, j'aurais dû rester voir mourir dans ma coquille. J'avais soupiré, ma mère, dont l'éducation était stricte m'avait violemment donné un coup de serre sur le visage sous le regard horrifié de mon père. Celui-ci ne m'appelait jamais par mon prénom devant elle. Seulement lorsqu'on était deux. Était-il heureux avec ma mère ? Ou bien faisait-il ça pour se faire pardonner ? Mais si c'est le cas, pardonner de quoi ? A cause de ce coup de griffe j'ai cru être aveugle à jamais. Mais non, désormais je vois flou de sur la partie extérieure droite de mon oeil droit ce qui réduit de façon importante mon champ de vision.

Je grandis que très peu, ma taille ne s'élargit pas, mes yeux gardent leur couleur terne, mes plumes restent pitoyablement lavées. Je n'ai pas mangé depuis environ deux jours car ma mère veut être nourrie la première et nous sommes en pleine mauvaise saison donc les proies sont rares. Pourquoi ma mère était-elle si dure... Je me souviens de lui avoir crier dessus une seule fois où elle s'était contentée de me déchirer l'oreille.

Elle était tellement sévère que je n'avais même pas le droit de quitter la petite grange dans laquelle nous vivions. Le seul soir où j'ai essayé de m'échapper sous le conseil de mon père, je me suis fait attraper et elle m'a tout bonnement tordu la serre gauche. Je me souviens de cette douleur électrique qui m'avait envahie. Je frissonne en y repensant. J'avais regardé ma mère dans les yeux et n'avait lu que de la haine envers moi. Ne me désirait-elle pas ? Moi qui pensais qu'avoir un petit était la chose la plus importante dans toute une vie.

Mon père s'occupait tendrement de moi en cachette, un lien très fusionnel nous unissait. Il était très proche de moi, c'était mon seul et unique parent. Le seul que je respectais, mon tuteur, mon modèle. Il m'appris à voler en secret au fond de la grange lorsque ma mère dormait.

Ma mère me pousse du museau en me soufflant qu'un renard étrangement puissant lui a sauté dessus et l'a égorgé sauvagement. Qui ? Je repère alors le corps sans vie de mon père non loin. J'ai maintenant 8 lunes et je suis bien plus mature que n'importe quel petit désormais. Mon père n'est plus. Je me tourne vers ma mère et lui crie une insulte. Elle me croit assez idiot pour comprendre ce qu'elle veut me faire croire ? Elle veut me bourrer le crâne de ces conneries. Je lui hurle :

« - Tu me prends pour un idiot ! les larmes me montent, c'est la première fois que je pleure devant ma mère, Tu l'as tué ! C'est toi qui l'a tué ! Pourquoi ?! Comment as-tu osé ?! »

Sur ces mots je détale, je pars en courant je ne sais où mais la seule chose que je sais c'est qu'il me faut trouver un nouveau territoire pour que je me construise une nouvelle vie. J'ai marché pendant environ trois jours pour trouver cette immense forêt avec l'odeur de nombreuses autres chouettes. Je sais que ma vie continue ici désormais. Je me retourne et une larme glisse sur ma joue et tombe dans le sable :

« - Jamais je ne t'oublierais soufflais-je à l'intention de mon père défunt. »

Quelques journées après, je suis réveillé par l'envol d'une colombe blanche. Je cligne des yeux pour ôter l'atroce vision de mon père gisant dans cette mare pourpre. Je soupire me disant que j'ai encore au moins cette journée à vivre sur cette terre. Mon ventre gargouille mais j'ai tellement l'habitude de l'ignorer que je me rends compte que je ne ressens même plus ma faim. Cela doit faire trois jours que je me contente de ramasser les carcasses que je trouve. Le soleil se lève à peine, ses timides rayons éclairent faiblement la forêt. Depuis peu, je me suis résigné à chasser. Étant donné que j'échoue à chaque fois, je préfère me contenter chaparder les mulots aux autres et ne pas m'épuiser plutôt que de m'affaiblir bêtement. Je me lève, m'ébroue. J'étire ensuite mes ailes une à une avant de sortir du creux de mon arbre par l'embouchure qui m'a fait voir les pâles rayons de l'astre. Une fois dehors, je me secoue à nouveau afin de retirer chacune des petites épines plantées dans mes rémiges. Une fois ceci fait j'attaque une longue et pénible toilette, j'arrache une à une mes rémiges usées pour m'alléger puis je lisse tout ça.

Lorsque j'ai fini cette désagréable toilette, je me lève et prend mon envol : mon périple continu. Le but d'aujourd'hui est le même que celui de tout les jours, survivre et ne pas succomber à la faiblesse. Je cherche du regard la flaque de la veille pour m'y désaltérer, je la repère et m'avance. A ma grande surprise, elle s'est asséchée ce qui me tire une plainte discrète. Je pars donc à la recherche d'une nouvelle flaque d'eau pour pouvoir enfin m'y abreuver. Après quelques longues et interminables minutes de repérage, je me dirige à foulées régulières vers ce ruisseau que je n'avais pas repéré la veille au soir, normal il faisait nuit. Je me penche afin de me désaltérer et bois énormément afin de peut être étouffer ma soif. Idée stupide. Vraiment stupide. Boire ne fait qu’accroître mon intense faim. Je me contente de soupirer et de me reculer du cours d'eau. Je lève la tête et recherche mon tendre  mets favori tout en me rendant compte de ma faim colossale, je décide de partir à la conquête de gibier même si je sais que mon butin n'en sera que plus ridicule.

Cela commence bien, je me faufile entre les arbres, les feuilles claques sous la puissance du battement de mes ailes et je repère un écureuil bien dodu, une proie en or. Je plonge en piqué pour l'attraper et manque de tomber le bec dans la terre avant de reprendre le contrôle de justesse. Je frôle  une pente avant d'arriver en bas et de me poser sur une branche. Je tousse un coup et admire le paysage de cet arbre dominant les autres. Je regarde mes serres en espérant ne pas m'être fait mal mais pas de bol, je me suis retourné un fragment de serre. Pas le moment de se blesser. Je me secoue un coup avant de continuer de tenter de me réenvoler, j'avais au moins oublié mon handicap un instant. Je ne vois que très mal de mon œil droit, un crime pour un hibou. Toute la vision basse-droite de mon œil droit est floue, c'est tout juste si je distingue les formes. Je bascule la tête en arrière et regarde et recherche, sans trop de précipitation, une nouvelle proie comestibles. Tout ceci pour rien. Je ne repère rien. Aucune proie. Aucun repas. Rien à se mettre sous le bec.

Je suis désespéré. J'ai faim, à mourir même. Je décide de tenter une dernière chance. C'est la seconde que je passe par ici. Je me dis que j'ai rien à craindre. Je marque donc ma propre odeur sur le même arbre où s'enchevêtrent chacune des odeurs. J'avance donc, la légère brise m'ébouriffe mes rémiges et me donne l'envie de prendre mon envol. Celle-ci n'est pas assez puissante pour faire plier les arbres de la forêt. Ce petit air me fait du bien, je me sens plus à l'aise lorsqu'il y a du vent. Je laisse mes ailes me porter à un endroit que je ne connais point. Bien des mystères semblent flotter au dessus de cette étrange forêt peuplée, apparemment, de nombreuses bêtes.

J'arrive devant cette petite mare sombre malgré le fait qu'elle soit que très peu profonde. Je me penche légèrement au dessus de la surface reflétant les couleurs du ciel. Je vois alors le reflet du soleil et je me rends compte qu'il est guère monté plus haut dans le ciel. Je me recule et essaye de trouver encore du gibier, en vain. Je m'accroche donc tranquillement à une branche, face à cette mare soupirant à chaque fois qu'un poisson saute sans que je puisse l'attraper. Lorsqu'un saute, je suis étonné par ses nombreux reflets argentés et de la légèreté avec laquelle il se laisse comme envoler dans le ciel. Je ne sais plus quoi faire à part attendre. Mais attendre quoi ? Qu'un autre arrive et me mette la misère ? Le soleil commence à se montrer plus imposant, pour amorcer sa lenteur, il se montre de plus en plus visible et de plus en plus chaud. Je le sens sur mes plumes qui je sens, va roussir si je ne bouge pas d'un poil. Je lâche un khraikh rauque et strident avant d'aller me mettre à l'entrée de la forêt et de quitter la combe dégagée. Je me mets de sorte à ce que le courant d'air de tout à l'heure m'arrive dans le dos et me refroidisse..

En me voyant ainsi, on dirait plus un vieux hibou qu'une jeune chouette. Je ne me tiens pas droit, le dos courbé. Mes côtes se dessine au travers de mes poils, mes yeux sont ternes. La seule chose qui puisse trahir ma jeunesse est sans doute mes rémiges étincelantes sous le soleil. Celle-ci est la seule chose que je puisse encore entretenir. Je n'ai plus la force pour rien et puis, je serais bien heureux de quitter le plus rapidement possible se monde dangereux et hostile. Mes khraikh rauques font plus penser à un hibou âgé râlant qu'à une jeune chouette. Je me trouve plus mature que la plupart des chouette de mon âge, sans doute à cause de mon expérience obtenue lors de ma jeunesse difficile. Je lève légèrement les yeux en me demandant combien de temps est-ce que je compte rester là, immobile comme une statue; ou presque. Le simple soulèvement régulier de mes côtes est sans doute l'unique chose qui permet de repérer que je suis encore bien vivant.

Je cligne des yeux et c'est alors que je l'aperçu. La mare qui se teinte d'une couleur pourpre, timidement je m'avance. J'ai la tremblote. J'essaye de me contrôler mais je pense que ceci est bien pire. Je pourrais être secoué de violent spasme à n'importe quel effort. Chacun de mes petits muscles roulent suite au geste de vas et viens de mes ailes. Cette mare a énigmatiquement changé d'apparence devant moi, sous mes yeux. Je me penche, c'est alors que je la vis. La tête de celle qui m'a donné vie, celle qui m'a torturé, celle qui m'a fait vivre un enfer. Je sens l'énervement en moi, je recule de la mare afin de ne pas chuter sous l'effort. Je m'avance, rageant. De ma serre je frappe violemment la mare. L'eau m'éclabousse et je cri. Je recule pour m'éviter de me jeter dans cette mare et de cherche ma mère. Je cligne à nouveau des yeux et ma vision semble s'effacer. Deviendrais-je fou ?

Un roucoulement lointain me sors de mes pensées. Je lève les yeux, le soleil à laissé place à la lune. Mais qu'ai-je fait durant ce grand laps de temps ? Honnêtement je l'ignore. Je pense que je me suis évanoui. Mon ventre gargouille encore, je n'ai rien avalé de la journée. Encore... Je baisse les yeux, par soumission à moi-même et qu'est-ce que je vois. Le poisson argenté de toute à l'heure. Mort, à mes pattes. Que fait-il ici, serait-il venu ici de lui-même ? Cela m'étonnerait fortement. Je suppose que quelqu'un l'a tué et ne l'a pas terminé. Il est mort, je l'avale donc avant de retourner dans le creux de mon nid, pour une fois, heureux d'avoir pu avaler quelque chose de frais bien que je ne l'ai pas beaucoup savouré.

Une fois dans le nid, je m'arrache quelques rémiges pour le rendre plus doux. Je serre mes ailes contre moi et je tente de m'endormir. Le froid mordant passe par le trou de mon nid et me glace. J'essaye tant bien que mal de refermer l'entrée pour bloquer cet air glacial mais je n'y parviens pas. Je me résous donc à m'endormir malgré le courant d'air. La lune a remplacé le soleil et j'entends les hululement de mes chouettes nocturnes cousines. J'irais bien voler avec elle et partager des moments dans les airs mais je suis épuisé et j'ai peur de faire de mauvaises rencontres et que ça finisse mal.

Je mets un certain temps à m'endormir en m'imaginant voler avec les autres. J'aimerais être dehors à voler au doux air nocturne, mais me voilà partit pour le monde des rêves, ou bien peut être celui des cauchemars mais ça, seul ma conscience pourra vous le dire.

Cet autre monde m'a toujours fait rêvé, j'ai toujours voulu pouvoir contrôler mes rêves et ceux des autres. Ne serait-ce que pour voir comment ils peuvent différer des miens. Je délire totalement, mes rêves ou mes cauchemars sont souvent l'inverse extrême l'un de l'autre et pourtant. Me voici donc dans un de ces deux pays, prêt à dormir pour l'éternité.