Our heroes are Dead tonight. BAPTEME DE CHEF

Son souffle se décomposa dans l'air en un nuage blanchâtre qui se dissipa peu à peu. Une gerbe de fumée pour exprimer la froideur de dehors, la froideur de la nuit. Du sang. De la mort. Grâce de la Vestale n'accorda pas un seul regard au ciel, elle ne regarda même pas le clan des étoiles dans le yeux. Ils avaient appris plus tôt que leur meneur était mort. Où était le lieutenant quand on avait besoin de lui ? Toujours est-il que futur dirigeant à été dirigé. Un sourire malicieux barra le visage de Grâce de la Vestale. Elle gardait des cicatrices de sa rencontre avec Foudre, plus ou moins profonde, mentales et physiques. Elle s'imposait souvent en juge de la vie, guérisseuse ayant le droit de retirer et donner la vie. Mais avec Foudre les choses avaient pris une tournure bien différente. Le sang. Le goût du sang, le goût de l'être. Elle n'avait donc pas beaucoup, elle n'avait pas de sentiment. Ni peur. Ni passion. Elle n'exprimait que la lassitude et le narcissisme. Pensant qu'elle seule avait le droit de vivre. Pensant sans doute qu'elle était la meilleur et l'unique. Dans tous les cas, ce soir elle allait devoir communier avec les ancêtres, elle devait accompagner son futur meneur.

Pluie d'été. La compagne de Foudre. Les coïncidences...n'en sont plus. Elle leva enfin la tête. Mais si les étoiles avaient pu s'écarter sur le chemin de son rictus de folie, elle l'auraient fait. « Nos héros sont morts ce soir, il faut croire. » La guérisseuse se dirigea vers la guerrière. Elle n'était pas en mesure d'affirmer avec certitude son état sentimental. Elle était surement accablée. Et elle n'avait pas fini d'être choquée. Non. Grâce n'avait pas pleuré. Et cela se voyait, rien n'avait changé, si ce n'est son regard. « C'est ton heure chérie, un long voyage nous attends. Je t'ai préparé des herbes, nous partons bientôt. » La jour arrivait déjà, ils partiraient d'ici quelques minutes. Le temps que l'on s'indigne un peu plus de l'indifférence de la guérisseuse.

Pluie d’Été était assise au milieu du camp de la Rivière, la tête tournée vers les étoiles. Elle venait d'apprendre que Soleil du Matin l'avait désignée pour prendre sa place en tant que chef... Désemparée, la guerrière qui ne le serait bientôt plus interrogeait du regard ses ancêtres. Pourquoi moi ? disaient ses yeux. Elle était tellement jeune, et certainement pas la plus fidèle des guerriers de la Rivière. La culpabilité s'ajouta au chagrin de la mort soudaine de leur chef et à l'angoisse de son nouveau rôle. Foudre... Elle l'aimait, de cela elle n'avait jamais douté. Mais avait-elle réellement fait le bon choix en restant avec lui ? Et maintenant, elle allait devenir chef. Elle n'aurait jamais cru que Soleil du Matin la choisirait, elle. Certes, elle était forte et courageuse, mais elle-même reconnaissait manquer cruellement de discernement. Par exemple, lorsqu'elle avait décrété vouloir des chatons... Il était trop tard pour y renoncer, mais comment allait-elle les élever avec toutes ces responsabilités qui pesaient désormais sur ses épaules ? Une larme coula d'un des yeux gris de la chatte et tomba au sol avec un petit "plic !" Non, Pluie d’Été ne voulait pas être chef. Mais c'était son devoir, car le Clan avait besoin d'elle. Peut-être était-ce un moyen de se racheter pour sa relation secrète avec un solitaire ? Elle n'en savait rien, et tant de questions restaient sans réponse. Ce n'était pas le moment de les chercher. Pluie d’Été prit une grande inspiration et se redressa.

- Je suis prête, murmura-t-elle aux guerriers étoilés.

Un pas s'approcha, et la future chef se retourna pour découvrir sa guérisseuse, Grâce de la Vestale. Celle-ci ne semblait pas très touchée par la disparition de leur chef, et Pluie d’Été frissonna. Elle avait toujours trouvée Grâce un peu froide, presque inquiétante.

- C'est ton heure chérie, un long voyage nous attends. Je t'ai préparé des herbes, nous partons bientôt.

Pluie d’Été hocha la tête, déterminée à ne pas montrer à quel point elle se sentait désorientée et perdue. Elle prit fermement les herbes que lui tendait Grâce et la remercia à mi-voix. Puis elle ne put s'empêcher de demander vivement :

- Qu'attendons nous encore pour y aller ?

Peut-être avait-elle pris un ton un peu trop dur. Peut-être aussi que le simple fait de poser une telle question la faisait passer pour une idiote. Mais comme d'habitude, elle n'avait pas réfléchi avant de parler ! Furieuse contre elle-même, elle remua les oreilles et fouetta l'air de sa queue. Sauf que c'était encore pire : on aurait dit qu'elle était terriblement impatiente.

Pluie d'Été hocha lentement la tête. Son visage exprimait à la fois l'impatience, la détermination et le doute. Une guérisseuse savait identifier mes sentiments des autres, c'étaient son devoir. Malgré ce 'pouvoir', elle n'arrivait pas à savoir à quoi elle pensait. Son regard trouble faisait croire qu'elle était concentrée sur une seule chose. C'était peut-être vrai, mais peut-être pas vrai. Alors, elle attendit la réponse.
- Qu'attendons nous encore pour y aller ?
C'était dit d'un ton dure dans lequel perçait d'autres choses. Mais son visage restait de marbre. Elle fera une bonne meneuse. songea Grâce de la Vestale. Douce, sachant cacher ses sentiments, impatiente, déterminée... Toutes ses qualités réunis devraient en faire un chef responsable et attentionnée envers son Clan. D'autant plus que c'est l'une des guerrières la plus loyale de la tribu... C'était un peu le cas contraire de Grâce. Oui, elle avait une loyautés sans faille, mais elle était rude, assez brute. Quand elle soignait, elle soignait bien, mais quelque chose dans sa manière de faire trahissait son être.

Enfin, elle se décida de répondre d'un voix douce, indifférente, comme la précédente.
« Qu'attendons nous pour partir ? Elle s'interrompit et gloussa doucement. Eh bien, nous y allons, ma chère. »

Et elle commença à marcher d'un petit pas rapide vers la sortie du camp, sans vérifier si l'autre la suivait. D'ailleurs, elle s'en fichait bien, même si c'était obligé. Elle se mît alors à trotter. Le voyage allait être long, elles perdraient du temps. Et puis soudain, elle se rappela. Quelle imbécile ! Elle avait oubliée les plantes ! Ne laissant rien paraître sur son visage, elle murmura doucement en direction de Pluie d'Été.
« Oh ! Excuse-moi, j'ai oublié de te donner les plantes. Je vais vite les chercher, reste ici, jeune guerrière. »

Et elle repartit dans le sens inverse. En rentrant dans le camp, elle aperçut la patrouille de l'aube. Il était donc si tard ! Elles devraient se dépêcher si elles voulaient y arriver avant la tombée de ma nuit ! Grâce s'avança et, sans regarder autour d'elle, attrapa rapidement les plantes. Et elle se rendit vers l'endroit où la future meneuse l'attendait.
« Me revoilà ! Nous pouvons y aller ! Nous devrions y aller rapidement si nous voulons y arriver à temps. Laisse-moi passer devant. Je connais ce chemin moues que toi.  »

Cette fois, elle avança d'un pas sec et régulier.

- Qu'attendons nous pour partir ? Eh bien, nous y allons, ma chère, gloussa Grâce de la Vestale.

Pluie d’Été la foudroya du regard. Elle détestait qu'on se moque d'elle, surtout dans un moment pareil, alors que leur chef venait de rendre l'âme. Ses guerriers l'avaient veillé cette nuit là, puis Soleil du Matin avait annoncé sa décision de se retirer et de laisser sa place à Pluie d’Été. Ce choix avait étonné tout le monde ; la guerrière tigrée était si jeune, à peine 18 lunes... Mais il fallait reconnaître qu'elle était loyale et courageuse. On pouvait lui faire confiance. C'était ce que la chatte avait lu dans les yeux pleins d 'espoir des guerriers du Clan. Et elle devait se montrer digne de leur confiance. Elle suivit donc d'un pas décidé sa guérisseuse antipathique. Elle devrait s'habituer à la froideur de Grâce, car celle-ci serait sa principale conseillère (avec son futur lieutenant, bien sûr, mais elle ne préférait pas penser au moment où elle devrait en choisir un ou une parmi les guerriers. Du moins, pas pour l'instant). Un murmure interrompit ses pensées :

- Oh ! Excuse-moi, j'ai oublié de te donner les plantes. Je vais vite les chercher, reste ici, jeune guerrière.

La future chef haussa les épaules et attendit patiemment le retour de Grâce, qui ne tarda pas.

- Me revoilà ! Nous pouvons y aller ! Nous devrions y aller rapidement si nous voulons y arriver à temps. Laisse-moi passer devant. Je connais ce chemin moues que toi.

La chatte acquiesça et suivit sans faire d'histoires. Qu'est-ce qu'elle en avait à faire, de marcher devant ou derrière ! Ça ne changeait rien au fait qu'elles se dirigeaient vers les Hautes Pierres, où Pluie d’Été devait être baptisée. Elle n'avait pas hâte du tout, ni d'être là-bas, ni de devoir avaler les plantes amères. Elle se tut donc et avança d'un bon pas. Dans une semi-obscurité qui donnaient aux décor un petit air mystérieux, les deux chattes quittèrent bientôt le territoire de la Rivière, traversant un pont au-dessus du torrent. Le glouglou de l'eau au-dessous d'elles n'était pas pour rassurer Pluie d’Été, qui hâta le pas. Enfin, elles se dirigèrent vers les Quatre Chênes. Mais le chemin montait en pente abrupte et la future meneuse, qui commençait à fatiguer, haleta :

- Et... et ces plantes ?

Son ton contenait une pointe d'appréhension, mais on sentait qu'elle aurait avalé n'importe quoi à condition que cela l'aide à tenir pour le voyage.

Juste devant elle, la guérisseuse produisit un grommellement sourd. Puis elle s'arrêta lentement et fit face à Pluie d’Été, une expression menaçante assombrissant son visage. La chatte tigrée faillit reculer, légèrement effrayée, puis soudainement, Grâce redevint aussi inexpressive et mystérieuse qu'à son habitude.

- Mais bien sûr, je n'attendais que ça, miaula-telle, mielleuse. Tiens, prend-les.

Pluie d’Été prit volontiers les herbes que la guérisseuse lui tendait en faisant comme si elle n'avait pas remarqué son ton et les avala le plus vite possible pour éviter de sentir leur amertume affreuse. Puis, guère revigorée, elle entama péniblement l'ascension de la côte qui menait aux Quatre Chênes. Tout en marchant, elle observait la silhouette de Grâce devant elle. Celle-ci marchait tranquillement, remuant doucement la queue de droite à gauche. Elle semblait parfaitement calme, et pourtant, quelques minutes plus tôt, son visage exprimait une colère noire. Comment faisait-elle pour changer d'attitude aussi vite ? Pluie d’Été n'en avait aucune idée. Elle n'avait jamais réussi à interpréter le comportement de la guérisseuse du Clan, ce qui était problématique étant donné que cette dernière était censé jouer auprès de sa future chef un rôle de conseillère et de messager du Clan des Étoiles. Si les deux chattes étaient incapables de s'entendre, de collaborer ou ne serait-ce que de se comprendre pour la survie du Clan... celui-ci courait à sa perte. Excédée, la chatte aux yeux gris rattrapa sa guérisseuse d'un pas vif et lui coupa le passage, stoppant son avancée.

- On ne peut pas continuer comme ça. Je ne pourrais pas protéger correctement le Clan de la Rivière si tu refuses de m'aider. Et puisque nous en sommes au stade des confidences, asséna-t-elle d'un ton  acerbe, je dois dire que je ne t'apprécie pas beaucoup. Mais j'essaie de surmonter ton antipathique froideur, et j'ose espérer que tu pourras en faire de même avec moi. Si tu ne le fais pas parce que je suis ton chef, fais-le pour le bien du Clan.

Avec cette intervention, elle comptait bien affirmer son autorité et refréner les élans d'insolence et de contestation qu'elle avait pressentis chez Grâce de la Vestale. D'ailleurs, elle ne comprenait pas ce qui les causaient ; jusqu'ici, la guérisseuse avait toujours fait ce que lui demandait le chef. Certes, elle restait glaciale et indifférente, mais jamais Pluie d’Été n'aurait imaginé qu'elle lui parlerait de cette voix mielleuse, si crispante.